Romain Gicquel

Romain Gicquel

La ferme de l’hospitalité

Ni vaches ni poules dans cette ferme-là. La Ferme de Voisins, située dans le vieux village de Voisins-le-Bretonneux, dans les Yvelines, est un formidable restaurant où les hôtes sont choyés. Mais l’accueil chaleureux de l’établissement n’est pas sa seule qualité : le chef et gérant, Romain Gicquel, y propose une cuisine de belle tradition française métissée d’une harmonieuse touche de modernité. Dans cette ferme-là, on s’y sent bien et on y mange drôlement bien.  

La vaste salle à manger avec sa cheminée centrale et ses confortables chaises colorées

Il a passé son brevet des collèges motivé par la récompense paternelle promise en cas de succès : une mobylette. Il l’a eue, la mobylette ! L’école, ça ne le passionnait pas trop. La cuisine, en revanche, c’était son affaire. Aujourd’hui, Romain Gicquel, chef et gérant depuis 2006 de La Ferme de Voisins, le dit haut et fort :

« Ce n’est pas parce que vous n’êtes pas bon à l’école que vous ne ferez rien de votre vie !  Cuisinier, c’est un ascenseur social. Le métier crée des rencontres, des réseaux, des opportunités. Le repas rassemble. »

Et, se rassembler autour de Romain Gicquel, c’est être certain d’un sympathique moment d’échanges et de convivialité. Et, se rassembler autour d’une table de son restaurant de Voisins-le-Bretonneux (Yvelines), c’est l’assurance d’un (très) bon repas dans un cadre chaleureux et accueillant. En terrasse pimpante et fleurie aux beaux jours, près des flammes dansantes de la grande cheminée centrale en hiver.

L’épatant menu « Petit Ferme »
Il va falloir choisir. « Petite ferme », c’est l’épatant menu à 35 € (entrée, plat, dessert) que propose, au déjeuner, La Ferme de Voisins. On vous met l’eau à bouche : onctueux velouté de butternut-carottes-gingembre et œuf parfait ou surprenant éclair à la mousse d’anchois relevé juste comme il faut, puis cabillaud, risotto de quinoa, crème d’herbes ou parmentier de filet de bœuf, purée maison et pour finir nougat glacé miel et fruits confits ou entremets chocolat-praliné. Équilibré, assaisonné pile-poil et aux saveurs harmonieuses, ce menu mis en place récemment malgré les hausses de prix des matières premières, de l’énergie et des taxes multiples, remporte de nombreux suffrages. Romain Gicquel, 43 ans, ne se cache pas derrière son petit doigt :

« C’est difficile en ce moment. On n’a jamais réalisé trois années pérennes consécutives. En 2025, on est au ralenti total. Toutes ces difficultés sont usantes, mais… j’aime toujours autant mon métier ! »

« La transmission me tient à cœur »

Il n’est pas si âgé, Romain Gicquel. Mais ce quarantenaire parle avec conviction d’une valeur fondamentale pour lui : la transmission. Non, plutôt d’une triple transmission : « Il faut transmettre un savoir-vivre, un savoir-être et un savoir-faire », explique le chef qui veut que tout ce qu’on lui a enseigné ne s’arrête pas à lui. S’il en a formé beaucoup, dont certains ont participé au concours du Meilleur Apprenti de France, il déplore qu’actuellement le nombre d’apprentis diminue : « Il y a de moins en moins de jeunes qui veulent faire ce métier, il y a de moins en moins de passion. » Une passion toujours aussi vive chez ce chef vicinois malgré les aléas actuels : « Malheureusement des restaurants sont en difficulté, certains ferment. La vie de la restauration n’est pas représentée par les seules cuisines d’auteurs parisiens ou ceux issus de « Top Chef ». Ce sont tous ces chefs des régions de France qui nourrissent avec ferveur les Français. Ce sont eux qui font notre métier. » Métier absorbant, exigeant tout autant qu’exaltant.

Les financiers de Mamie Josette

Métier que le très jeune Romain, né en 1982, ne choisit certainement pas comme pis-aller. S’il grandit à Montigny-le-Bretonneux au sein d’une fratrie de 4 garçons et de parents n’exerçant pas du tout dans la restauration – Dominique, son père est fonctionnaire chez Orange, Christine, sa mère, coiffeuse – Romain est éduqué au goût des bonnes choses : les « fantastiques » financiers de sa grand-mère mamie Josette, les blanquettes, bourguignons et gratins de coquillettes au jambon de son papa ou encore le fameux coq au vin de son oncle. « J’ai très vite su que je voulais m’orienter vers la cuisine. J’aime y passer du temps. Cuisiner, c’est en même temps un peu égoïste, on est centré sur ce qu’on fait, et généreux, on le fait dans le but de régaler les autres. C’est se faire plaisir en faisant plaisir ! », confie celui qui rejoint, à 15 ans, l’école Tecomah, à Jouy-en-Josas.

En plein service le chef et une partie de sa brigade

Un riche apprentissage

En avant ! CAP et BEP en deux ans et en alternance au Pied de Mouton, bistrot traditionnel à Versailles :

« On avait un menu à 36 francs avec langoustines et foie gras ! »

se souvient l’ex-apprenti. Il se forme à toutes les bases de la cuisine française sous la houlette de son patron et maître d’apprentissage, Michel Betis (aujourd’hui chef propriétaire de Mirabelle à La Gaude) : « Un vrai chef, paternaliste et dans la transmission ; on levait tous les filets de poisson, je décortiquais 25 kilos de langoustines ou nettoyais 10 kilos de moules. J’allais chez le boucher, le maraîcher… Un apprentissage tellement riche ! » Romain Gicquel continue sa formation en bac pro, toujours à Tecomah, en alternance chez Cartier, la maison de luxe qui possède son restaurant d’entreprise et sa table du président. « Là, j’apprends la rapidité et l’organisation », raconte celui qui participe à la réalisation de 180 couverts quotidiens pour le personnel avec, tenez-vous bien, 5 entrées, 5 plats et 5 desserts au choix. Mieux vaut effectivement ne pas lambiner. Il découvre en même temps la cuisine de produits haut de gamme, homards, turbots…, pour la table VIP du président. « Ça me plaît ! », résume celui qui enchaîne avec une mention complémentaire pâtissier, glacier, chocolatier, confiseur obtenue en 2002.

Première expérience à La Ferme de Voisins

C’est comme chef de partie que Romain Gicquel rejoint La Ferme de Voisins, chez Didier Hayes, en septembre 2002. Il est rapidement promu sous-chef :

« Je vais à Rungis avec mon patron. J’apprends à aller voir plusieurs producteurs, à comparer, les produits, à vérifier leur qualité… C’est important ! »


La carte de ce restaurant propose des mets classiques français, tels rouelle d’agneau, escargots, foie de veau, rognons…

« On est à la campagne ! Encore aujourd’hui, quand je mets des rognons à la carte, ça marche bien. Quant à la tête de veau, impossible de l’enlever de la carte ! »,

précise le chef. Mais nous n’en sommes pas là. Et en 2004, Romain Gicquel, qui sait déjà vouloir un jour son propre établissement, veut ajouter d’autres cordes à son arc. Il intègre le Domaine du Verbois, à Neauphle-le-Château, pour expérimenter room-service, petits déjeuners, réceptions et banquets. En 2006, ses compétences sont solides, variées, Romain commence à parcourir les annonces d’établissements à reprendre…

Authenticité et modernité 

Le jeune homme ne peut que s’arrêter sur l’annonce de La Ferme de Voisins… où il a travaillé ! Tope là ! L’affaire se fait, Romain Gicquel reprend la maison et ouvre le 14 novembre 2006. Il a 24 ans. « L’outil est en état de marche. On peut bosser. » Petit à petit, le cuisinier fera son nid. Ce nid agréable, chatoyant et très convivial. La décoration de la salle a été refaite, la carte a évolué tranquillement pour, aujourd’hui, refléter la maîtrise et l’habileté de ce chef qui mêle avec bio authenticité et modernité : « On a retiré beaucoup d’abats. On s’est orienté vers du plus fin, du plus léger. On a retiré 30 à 40 % de sucre sur les desserts. » Romain Gicquel apprécie le filet de bœuf qu’il travaille en chateaubriand, lardé et juste snacké, en croûte façon Wellington, brioché en individuel et dont il aime varier les sauces : un simple et bon jus de viande « qui ne masque pas les garnitures », une sauce au poivre, une béarnaise… Légume d’hiver, la butternut devient, à La Ferme de Voisins, un velouté versé sur une escalope de foie gras, une alliance osée et réussie andouille, mousseline et cubes de butternut ou encore une pizza butternut-feta, servie à la Pizza Pappa que Romain a ouverte juste à côté et que gère son petit frère, Aymeric, également directeur de salle de la Ferme de Voisins.

Jazz et magie

Deux autres menus sont proposés : « La Ferme » à 55 euros et « Signature » à 79 euros.
Des tarifs ultra compétitifs pour déguster tête de veau, légumes croquants et sauce ravigote ; homard, pignons et éphémère safrané ; noix de ris de veau croustillante, champignons et jus de viande aillé… Il serait enfin plus que dommage de ne pas conserver un peu d’appétit pour les desserts : fingers chocolat-marron ; baba bouchon maison, rhum arrangé à l’orange ; déclinaison autour des agrumes, sorbet yuzu ou amande, biscuit succès, ganache montée et glace pistache. Romain Gicquel organise également une fois par mois une soirée « Jazz » et une autre « Magie » : « Ce sont des animations qui plaisent, des ambiances différentes, très joyeuses. » Le chef, père de deux garçons, Amaury et Arthur, ne propose pas de menu enfant, mais « demi-portion, demi-tarif ». L’éducation des papilles est importante : « Les enfants doivent goûter la même chose que leurs parents. » Pour satisfaire une clientèle d’affaires au déjeuner, de particuliers le soir et familiale le week-end, Romain Gicquel file aux aurores au marché de Rungis choisir les meilleurs produits. Pour les ressources humaines et toute la comptabilité, il peut compter sur sa femme, Élise. Et s’appuyer sur une équipe salle et cuisine solide et de confiance. Oui, les temps sont durs, l’époque est compliquée, alors pour se remonter le moral et soutenir notre restauration française, pour passer le plus agréable des moments et savourer un excellent repas, pas d’hésitation, vite, une réservation… à La Ferme de Voisins.  

Valérie Bouvart
Article à retrouver dans la Revue Culinaire n°958