La belle étoile de Montreuil
Elle brille au-dessus de la Seine-Saint-Denis. La seule étoile Michelin de ce petit département d’Île-de-France, le 93, est planquée à Montreuil, au beau milieu d’un incroyable jardin. Le chef de la Villa9Trois, Sylvain Grosjean, fort d’un parcours rigoureux, entre autres dans des établissements tri-étoilés, L’Ambroisie ou la Villa Madie, propose une cuisine très précise, vive et follement herbacée. Des herbes, des fleurs et même des agrumes… en direct du jardin !
« Les villes devraient être construites à la campagne, l’air y est tellement plus pur », plaisantait Alphonse Allais.
L’écrivain, si fin et si drôle du XIXe siècle, serait scotché de constater que la campagne s’invite, parfois, aussi en pleine ville. À Montreuil, commune de Seine-Saint-Denis, département plus souvent appelé le « neuf-trois » pour 93, se cache une villa couleur brique entourée d’un parc.
On entre par une longue allée arborée, croisant dans cette flânerie pleine de promesses gourmandes, un poulailler, un jardin d’herbes aromatiques ou encore une charmante serre d’agrumes, avant de découvrir des tables nappées, espacées et dressées sur une vaste terrasse au milieu de la végétation. On n’en revient pas, la station de métro est à quelques centaines de mètres.
La Villa9Trois a connu plusieurs vies et plusieurs chefs. Depuis l’été 2024, Sylvain Grosjean est aux commandes des cuisines, succédant à Camille Saint M’Leux, aujourd’hui dans son restaurant Géolia (Paris 16e).
Ce dernier avait conquis une étoile Michelin, que Sylvain Grosjean a pérennisée. Julia Claviez, sa compagne, mène avec sourire et efficacité la direction du service de salle. Le jeune couple a déjà de la bouteille dans ce partage des tâches, s’accorde et se soutient, tant avec volonté de bien faire qu’avec un bonheur évident qui essaime sur tout cet endroit merveilleux.
Respect et bienveillance
Un peu avant midi, Julia réunit son équipe pour un brief de salle rigoureux, mais dans une joyeuse humeur : distribution et description des tables, la 4 est un repas d’affaires, la 9 fête l’anniversaire de madame, la 23 bénéficie d’un bon cadeau… En cuisine, la brigade d’une huitaine de personnes s’affaire et répond aux demandes de Sylvain Grosjean avec empressement. Toutes les instructions du chef sont ponctuées d’un « S’il te plaît ».
Ce n’est pas si fréquent. « C’est la moindre des choses. La bienveillance et le respect sont précieux et bien plus efficaces que les éclats de voix. C’est à L’Ambroisie, avec Bernard Pacaud, que j’ai compris ça. Un chef humble, qui ne criait jamais, et toujours dans l’accompagnement. Une attitude que j’ai conservée avec mes équipes », justifie Sylvain. Julia renchérit, signalant que Bernard Pacaud a reçu le prix Michelin du Chef Mentor 2025. Les premiers clients arrivent et s’installent sous les parasols blancs, émerveillés. Le meilleur est à venir.
Des notes explosives
La Villa9Trois propose trois menus : Déjeuner (en 3 temps, 55 €), Saveurs (en 4 temps, 89 €) et Dégustation (en 6 temps, uniquement le soir, 129 €).
À peine le temps de profiter du cadre enchanteur, les amuse-bouche surgissent, des tartelettes de houmous, artichauts et citron confit sobrement disposées sur une tomette de terre cuite.
de profiter du cadre enchanteur, les amuse-bouche surgissent, des tartelettes de houmous, artichauts et citron confit sobrement disposées sur une tomette de terre cuite. Les papilles sont cajolées et prêtes à la suite.
Une pré-entrée, toute verte, en accord avec l’environnement : haricots de Paimpol, très al dente, petits pois et brocolis s’égaient dans une tonique sauce ravigote au pistou. « J’aime avoir des notes explosives », confirme le chef. Ça ne nous avait pas échappé. Explosives, mais parfaitement maîtrisées comme avec ce trio d’abricots, girolles et amandes boosté d’une crème infusée aux feuilles de figuier et magnifiquement dressé. Originaire du sud de la France, Sylvain Grosjean aime travailler les produits de la mer : sériole de méditerranée, velours de concombre au myrte et à la quenelle de caviar ou saint-pierre au fenouil confit, fleur de fenouil, anis vert torréfié, condiment favouilles, coques et émulsion bourride. Parfums et goûts se mêlent et s’entremêlent avec adresse, harmonie et cette touche fougueuse qui réveille les saveurs sans les masquer.
Sardines grillées et poulet aux morilles
Le double héritage culinaire familial de Sylvain est intéressant. Né le 19 février 1991 à Toulon, ce verseau grandit à Marseille entre deux éducations gourmandes. Côté Jean-Luc, son père, ce sont sardines grillées, méchouis, couscous… : « Mes grands-parents, pieds-noirs, nous régalaient d’une cuisine méditerranéenne moyen-orientale, très parfumée et très, très bonne ! », se souvient le chef. Côté Nathalie, sa mère, et de ses grands-parents aixois, ce sont poulet aux morilles ou langoustes à l’armoricaine qui charment le jeune garçon : « Une cuisine bourgeoise de grands classiques. J’aimais écosser les petits pois, mettre la main à la pâte, pour aider, mais aussi par envie », confie le cuisinier qui, goûtant peu la discipline scolaire, se dirige vers un CAP cuisine en alternance à La Colombe, à Hyères-les-Palmiers. « Un petit restaurant tradi avec le chef et sa femme.
J’étais jeune, un peu fou-fou et ce chef a su me cadrer tout en étant patient. Il me montrait, m’expliquait. » CAP en poche, Sylvain Grosjean a pris goût à ce métier et aspire à « voir ce qu’est l’excellence, mais marche après marche ». Il rejoint, en 2011, la Villa Madie, à Cassis, où officie Dimitri Droisneau. Une étoile Michelin, à l’époque. L’apprenti, en bac pro, découvre pendant deux années les magnifiques produits et les gestes, toujours répétés pour faire, dit-il « le mieux possible, ça me tient à cœur ». Il se souvient de ce tourteau, glace corail et pastorale d’herbes et des références nombreuses de Dimitri Droisneau à Bernard Pacaud, l’emblématique chef de L’Ambroisie qui l’avait formé.
Cinq ans à L’Ambroisie
Ça ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd. Sylvain se rend à Paris et dépose son CV à L’Ambroisie. Il intègre le tri étoilé comme commis en 2013. De quoi être intimidé, stressé, non ? Le chef de la Villa9Trois sourit : « Je n’avais pas encore de notions de grand chef et tout le truc. Je voulais apprendre, j’étais content… et calme ».
Durant cinq années, Sylvain s’immerge dans ce joyau de la gastronomie française : « J’étais une éponge ! » Il apprécie, là encore, de répéter, répéter jusqu’à la perfection chaque geste au sein d’une brigade de huit personnes pour quarante couverts, « On y passe énormément de temps et il faut être heureux de ce que l’on fait. » Tout est carré, très rigoureux à commencer par le tri des produits chaque matin : « Chaque légume, poisson… est examiné et doit être impeccable. » Il parle d’un « méga souvenir, d’une très bonne équipe et d’un chef dans l’accompagnement et bienveillant. » Devenu chef de partie, il quittera L’Ambroisie en 2018, avec un solide bagage, des étoiles dans les yeux… et aussi un peu d’œufs de poisson : « On passait neuf kilos de caviar par semaine ! Le bar au caviar, les œufs à la moscovite… On en mettait partout ! »
Apicius et Le Domaine de Murtoli
Rencontré à L’Ambroisie, Mathieu Pacaud lui propose, en 2018, le poste de premier sous-chef à Apicius, dont le fils de Bernard Pacaud vient de prendre les rênes. L’écrin de cet hôtel particulier parisien du XVIIIe siècle avec jardin peut servir jusqu’à cent couverts : « J’apprends à gérer une grosse brigade, à m’organiser pour une cuisine de qualité sur d’importants volumes », explique Sylvain qui s’initie également, grâce au chef exécutif, un ancien d’Alain Passard, à la cuisine des légumes. Il s’enthousiasme pour « ce côté plus végétal, plus fin, plus contemporain et moins gras ». Le cuisinier y fait également une rencontre déterminante, et de charme. C’est chez Apicius que travaille une jeune barmaid, Julia Claviez. Ça matche. En 2022, Mathieu Pacaud qui signe la carte de La table de la Ferme, le restaurant gastronomique étoilé du Domaine de Murtoli, en Corse, propose au jeune couple d’investir salle et cuisine pour une petite année. Les multiples attraits – soleil et luxe de ce domaine gigantesque qui produit la majorité de ses produits, légumes, fromages, œufs, miel, agneau, huile d’olive…
– décident Julia et Sylvain. Le jeune chef travaille ses plats en amont, validés par Mathieu Pacaud. Comme ce filet de veau roulé aux herbes du maquis cueillies le matin même ! « J’aime tout ce qui est herbacé, floral », confirme Sylvain. « C’était une petite équipe, une salle de 15-20 couverts, avec un accueil particulier, attentif. À l’image de la philosophie des propriétaires du domaine de Murtoli, la famille Canarelli toujours très proche de ses clients », précise Julia.
Immortelle, badiane, noix…
L’un de ces clients sera Dimitri Droisneau : le chef cassidain, entretemps auréolé de trois étoiles Michelin, va discuter avec son ancien apprenti et lui propose de le rejoindre à la fin de la saison. En mars 2023, Sylvain Grosjean réinvestit les cuisines de la Villa Madie, comme premier sous-chef. C’est une belle aventure que de revenir sur les lieux de son apprentissage ! « L’organisation a changé et il y a plus de pression », explique Sylvain. Le souvenir d’un plat ? Il cite ces sardines mi-cuites avec espuma de pommes de terre fumées, gelée de dashi et bonite séchée. « Une cuisine laser, rien ne dépasse, mais avec beaucoup d’émotions », ajoute Julia. Mais le soleil de Cassis et la sublime cuisine de la Villa Madie ne retiendront pas le couple qui accepte le challenge de la Villa9Trois. Ils s’installent en Seine-Saint-Denis et gèrent depuis une année ce petit coin de paradis du neuf-trois. « Les propriétaires nous ont confié les clés de la maison. À l’image de Marielle et Dimitri Droisneau ou de Danièle et Bernard Pacaud, des couples modèles pour nous, on a cette vraie envie de recevoir les gens comme on les recevrait chez nous », confie Julia. Le chef s’y épanouit dans une cuisine précise et joyeuse qui parfume d’immortelles, à l’odeur de curry, travaillées en infusion, un beau morceau de viande rôti ; d’une sauce à la badiane, au poivre et à la cardamome pour napper un poisson.
À l’automne, Sylvain Grosjean apprécie la noix sur des cèpes et des saint-jacques escortés d’un siphon de purée de noix ou les cucurbita avec cette brunoise de courge, graines de courge, fleur de fenouil en petits condiments comme une vierge de courge, sur un saint-pierre et sa tapenade. Les fleurs et les herbes du jardin de la Villa9Trois alimentent sa cuisine qu’il complète avec celles de Jean-Luc Raillon, maraîcher au pied du Vercors. En guise de trou normand, un sorbet mandarine sur lit de pesto d’herbes monté au miel et spray d’absinthe rafraîchit et explose en bouche. « Il ne suffit pas d’avoir du talent. Il faut encore savoir s’en servir », écrivait encore Alphonse Allais. C’est incontestablement le cas de Sylvain Grosjean.
Quant à l’hiver qui s’annonce, la Villa9Trois se rapatrie dans une salle à manger ultra cosy où crépite un feu de cheminée. Autre ambiance, même bonheur.
Valérie Bouvart
Article à retrouver dans la Revue Culinaire n°957
Villa9Trois
71, rue Hoche – 93100 Montreuil
Tél. : 01 48 58 17 37