Le fabuleux destin de L’Étang du moulin
Vous aimez la nature, le calme, la gastronomie et être archi bichonnés ? L’Étang du moulin, au cœur du Doubs, offre une vingtaine de chambres cosy, un spa, un bistrot tradi, un restaurant étoilé et un accueil aux petits oignons. Un lieu enchanteur construit et géré par toute un famille de Francs-Comtois, au fil des ans et des générations. Jacques Barnachon et sa sœur Sandrine Boissonnat ont pris la succession de leurs parents depuis une trentaine d’années.
L’un est un cuisinier accompli, l’autre une sommelière émérite. Et tous deux de sacrés entrepreneurs. Mais commençons par le début : il était une fois… une famille fantastique !
Une cabane au bord de l’étang
C’est en 1972 que Maurice Barnachon a un coup de foudre pour ce site exceptionnel, à l’état sauvage, sur la commune de Bonnétage, dans le Doubs, perché à 900 mètres d’altitude… «Il n’y avait rien. Pas d’eau, pas de ferme, une ruine, des marécages et des sapins», raconte Jacques, le benjamin des trois enfants de Maurice et Renée Barnachon. Le souci, c’est que Maurice est originaire de la Loire. Arrivé à Bonnétage en 1957, il a beau exercer ses multiples talents commerciaux dans la région et avoir épousé Renée, née dans ce village doubien, le Maurice, il n’est pas d’ici. Alors, lui vendre ce terrain… Mais Maurice ne lâche pas l’affaire, qui finit par se conclure en 1976. Une première partie des étangs est creusée, une cabane en bois aménagée : c’est le début de la fabuleuse aventure de l’Étang du moulin. Renée, serveuse très appréciée dans le village, s’installe aux manettes de la cabane avec filles, Sandrine et Corinne, sœurs, cousin, tante… et envoie poulet rôti et fritures à gogo. Maurice installe une passerelle sur l’étang.
Ça pêche, ça rigole et ça picole. Bref, ça fait un carton.
« De juin à septembre, c’est plein. À cette époque, La France s’amuse !», commente Jacques Barnachon, né en 1971, qui, tout môme, gambade au milieu de cette foule joyeuse.
L’ouverture du chalet
La cabane s’agrandit, l’étang aussi. Maurice dépose un permis de construire en 1980, enfin accepté en 1982.
Représentant de commerce en montres, briquets, pipes…, Maurice construit, le week-end, le chalet de ses mains, aidé par les copains et la famille. «Les frères et sœurs de maman viennent aider. Une fratrie de neuf enfants, tous encore ici aujourd’hui, ça va de 78 à 93 ans. J’ai 23 cousins et cousines et 52 petits cousins et petites-cousines», raconte Jacques qui se souvient, lui, avoir été requis pour la peinture. L’hiver 1983, il neige. Beaucoup. La famille n’a plus un sou vaillant. Le chalet reste vide. Une banque finit par croire au projet et accorde un prêt à Maurice. Isolation, sols, chauffage, électricité sont faits. Le chalet ouvre le 5 avril 1985. « Ça fait quarante ans qu’on est ici !», constate fièrement Jacques. Mais au mitan des années 1980, la route n’est pas déneigée. Si le bar vend bières, vins fous d’Henri Maire (un crémant du Jura) et Pontarlier anis, si pièces grillées et fritures de carpe ou de perche font la joie des clients à la belle saison, le 15 octobre, tout s’arrête. «Mon père, ma mère et ma sœur sont restés sans salaire jusqu’en 1990», précise Jacques. Tout ce temps, il a grandi le petit Jacques, mais intégrer le chalet familial, ça ne lui dit pas plus que ça.
L’apprentissage de Jacques
«Moi, je voulais être bâtisseur. Rejoindre les Compagnons du devoir, construire des toitures et rénover des cathédrales», se souvient Jacques. Mais chez les Barnachon, c’est Maurice qui décide et le père veut que son fils soit cuisinier. Point barre. Jacques intègre, contre son gré, le lycée professionnel de Pontarlier : «Je faisais connerie sur connerie, collé tout le temps, je n’étais pas d’accord», rigole aujourd’hui le chef étoilé. Jusqu’à ce stage à l’Hôtel de France de Villers-le-Lac, chez Yves Droz-Bartholet : «Je découvre des trucs jamais vus, ça m’a plu et je demande à faire mon apprentissage là.» Jacques obtient son CAP cuisine, il ne sera pas bâtisseur (quoique…) et la passion culinaire ne va plus le lâcher.
Il enchaîne les belles expériences : l’Hostellerie du Vieux-Moulin chez Jean-Pierre Silva, un deux-étoiles à Bouilland en Côte-d’Or, puis chez Jean Crotet à l’Hostellerie de Levernois, près de Beaune, doublement étoilé aussi. Ce n’était pas trop dur, le travail dans ces étoilés ? Jacques rit de bon cœur : «C’était presque des vacances après le rythme chez monsieur Droz.
Chez lui, c’était du 6 jours sur 7 et après le service, à tour de rôle, on restait pour faire le dîner de la famille. Ce n’était pas grave, c’était comme ça.» Cette endurance, cette énergie, cette trempe est d’ailleurs l’une des marques de fabrique de Jacques Barnachon. Il fait ensuite un rapide passage chez Philippe Groult, à L’Amphycles, à Paris, mais, la capitale, non merci. Il rentre au bercail en 1992.
Les débuts de Jacques à l’Étang du moulin
Quand il arrive à l’Étang du moulin, les cuisines tournent au poulet rôti, aux pommes frites et à la friture de poissons. Une bonne franquette dans un local un peu sommaire qui sert quand même quelque 28 000 couverts l’an, à 70 francs. Mais Jacques a vu et emmagasiné bien d’autres choses lors de ces expériences en étoilés. Il a d’autres ambitions : moderniser les cuisines et faire évoluer l’offre culinaire.
Ça ne se fera pas sans de sérieuses explications avec son père et sa sœur, Sandrine, qui gère depuis plusieurs années les comptes du restaurant. Deux ans plus tard, nouveau plan de travail et four tout neuf, le restaurant n’envoie «plus» que 14 000 repas l’an, mais à 140 francs. La qualité a grimpé, les comptes sont tenus, le frère et la sœur agissent de concert. Jacques Barnachon ne quitte plus ni son tour de cou ni sa toque. L’Étang du moulin ne va plus cesser de grandir, de se perfectionner, d’évoluer.
Les consécrations
En 1996, Le Michelin lui ouvre ses pages avec deux fourchettes. En 1999, les parents acceptent de vendre à leurs enfants. Nouveaux projets, nouveaux travaux sur plusieurs années, un bistrot et un restaurant gastronomique, un spa, des chambres confortables verront le jour. Sandrine, passionnée par le vin, goûte à tout-va et devient une sommelière avertie à la tête aujourd’hui d’une cave aux 1200 références et quelque 15 000 bouteilles.
Jacques, sur les conseils de Philippe Gobet, «mon parrain, mon protecteur, mon ami», s’inscrit à de multiples concours de cuisine : « J’ai passé trois fois le MOF, sans l’obtenir, mais très instructif, six fois le Taittinger, trois fois le Delaveyne… J’apprends, j’apprends, j’apprends ! » En 2000, le stakhanoviste des concours remporte le Trophée Masse de cette entreprise familiale spécialiste du foie gras. En 2005, le Michelin décerne une étoile au restaurant gastronomique de L’Étang du moulin. Une consécration qui perdure aujourd’hui : Vingt ans d’étoile, c’est une voie lactée !
La nouvelle génération
Des projets, de nouvelles aventures parsèment le chemin de Jacques. S’il se concentre aujourd’hui sur L’Étang du moulin, il a ouvert un restaurant à Morteau, vendu en 2020, un autre à Hong Kong où il s’est rendu une trentaine de fois, arrêté en 2018. L’heure est à conserver l’étoile, peut-être concrétiser de nouveaux rêves et consolider la maison familiale… grâce à la nouvelle génération. Depuis 2022, Céline Delagrange, l’une des filles de Sandrine, a acquis le fonds de commerce de la partie hôtelière de la maison et gère chambres, petits-déjeuners et lingerie : «Je suis très heureuse de ma décision. On travaille tous les uns pour les autres. On s’entraide et ma sœur Émilie va bientôt me rejoindre.
J’ai le premier contact avec les clients et conseille le bistrot ou le gastronomique», dit tout sourire la jeune femme, mère de trois petites filles. Et elle sait mieux que quiconque recommander les plats de Jacques qu’elle adore : les cuisses de grenouilles, bien sûr, mais aussi le risotto à la saucisse de Morteau et au comté, le fameux ragoût de morilles à la crème et au vin jaune ou le foie gras de canard aux fruits rouge, plat signature du chef. Quant au filet de bœuf charolais, laqué au poivre de Sakatia et son onctueuse sauce vanille de Madagascar, c’est le plat préféré d’Alexandre, le fils de Jacques qui a rejoint ce début d’année son père en cuisine. « J’ai toujours voulu travailler ici. J’ai commencé à 14-15 ans, y ai fait mon apprentissage, puis ma mention complémentaire en vins auprès de Sandrine», raconte le jeune homme né en 2003, qui s’est entre autres formé à la Maison Wenger, un tri-étoilé en Suisse. Alexandre tourne en cuisine comme en salle : «J’aime tout faire et veux savoir tout faire. C’est important pour perpétuer tout ce que mes grands-parents, mon père et ma tante ont fait.» Sa sœur jumelle, Charlotte, a prévu d’intégrer la maison dès la fin de ses études. Quelle famille fantastique !
Une grande maison… de famille
Jacques Barnachon arpente les 40 hectares qui entourent maintenant L’Étang du moulin. En saison, il cueille pimprenelle, oxalis, angélique, reine-des-prés, cumin sauvage… qui parfumeront ses plats. Il pointe du doigt un mince tuyau enfoncé dans le tronc d’un bouleau pour en recueillir la sève. Il connaît chaque parcelle, chaque plante, chaque arbre de ce domaine. Le Franc-Comtois caresse l’écorce d’un épicéa : «Celui-là, je l’ai vu grandir.» Proches et respectueux de la nature et de l’écrin verdoyant dans lequel ils vivent, Jacques et Sandrine, leurs parents avant eux, et, aujourd’hui, leurs enfants.
Valérie Bouvart
Pour la revue culinaire n°955 Mai/Juin 2025